L'esprit de résistance
Le Royaume de KOUKOU : Une histoire occultée
A l’arrivée des frères Barberousse, Aroudj et Khair-Eddine, à Alger en 1512, Ahmed At-Lqadi était déjà un personnage de légende dont l’aura embrassait une grande partie du territoire kabyle. Koukou, un village accroché à flanc de montagne, sur un promontoire dans la tribu des At-Yahia, près d’Aïn-el-Hammam, accueille son camp retranché qui deviendra, quelques années plus tard, la capitale de son royaume.
Descendant d’un célèbre juriste originaire d’At-Ghobri, dans la région d’Azazga, les At-Lqadi s’établissent dans la vallée du Sébaou dès la fin du XIVe siècle. Tout en faisant fructifier leur fortune dans la plaine, ils étendent peu à peu leur influence sur les tribus de montagne. Leur pouvoir politique ne commence, cependant, à s’imposer qu’au début du XVIe siècle, lorsque Si Ahmed At-Lqadi, ancien Cadi à la cour des Hafsides de Bougie, est nommé « gouverneur » de la province qui s’étend de Jijel jusqu’à l’oued Sébaou, dans la région de Tizi-Ouzou. Lorsque les Espagnoles s’emparent de Bougie en 1510, la famille régnante des Hafsides est en déroute. Si Ahmed At-Lqadi organise alors la résistance, et réussit à stopper l’offensive ennemie. Son autorité ainsi légitimée par le sabre, il devient, en 1514, le premier souverain de Koukou.
Cette dynastie règnera durant plus de deux siècles sur un vaste territoire, qui s’étend de Jijel, à l’est, jusqu’aux portes d’Alger. D’abord allié des Turcs contre les Espagnoles, le souverain kabyle devient très vite l’homme à abattre des représentants de la Sublime Porte qui peinent à lui imposer leur tutelle. En 1520, il repousse les détachements des milices de Khaïr-Eddine qui multipliaient les incursions dans la vallée du Sébaou, contraint le chef turc à fuir pour se réfugier à Djerba en Tunisie, et occupe Alger[1] jusqu’en 1524.
Les Algérois, vite excédés par les rigueurs de la nouvelle autorité, implorent Khair-Eddine de les délivrer des « envahisseurs ». A la tête d’une nouvelle armée, ce dernier marche sur Alger. Si Ahmed At-Lqadi part à sa rencontre pour lui livrer bataille. Quelques heures avant d’attaquer les positions ennemies, il est assassiné par un membre de sa garde rapprochée, à Tizi-Nat-Aïcha (Thénia)[2] où il a dressé son bivouac.
Privées de leur chef, les troupes kabyles se dispersent. Les Turcs, accueillis en libérateurs, redeviennent les maîtres d’Alger !
En 1546, Si Amar At-Lqadhi succède à son père. Il règnera jusqu’en 1618, date de son assassinat par son frère Mohamed, qui s’empare du Trône. Sa veuve, enceinte, se réfugie chez ses parents, dans la famille royale des Hafsides de Tunisie. La même année, elle donne naissance à un garçon. Surnommé Boukhetouche (l’homme au javelot), Si Ahmed Atounsi, encore adolescent, retourne en Kabylie, à la tête d’une petite armée, renverse l’usurpateur, et reprend le trône de son père.
Durant son règne, Si Ahmed Atounsi Boukhetouche repousse les incursions des janissaires et réussit à sauvegarder l’indépendance de son royaume. À défaut de soumettre la Kabylie, les Turcs se contentent de la contenir.
A la mort de Si Ahmed Atounsi Boukhetouche, en 1696, la famille est déchirée par une sanglante guerre de succession. Fragilisée par les divisions, la Kabylie devient une proie accessible aux visées turques.
A partir de 1720, Ali Khodja organise le Makhzen des Amraoua, dans la vallée du Sébaou, avant de partir à l’assaut des dernières poches de résistance.
En 1730, la dynastie de Koukou est vaincue ; les Turcs commencent à installer des postes avancés dans les plaines de Grande Kabylie.
Le 14 juin 1830, un siècle après la chute de Koukou et les premières incursions turques en Kabylie, les troupes françaises débarquent à Sidi Fredj, sur la côte ouest d’Alger…
Dans l’Algérie indépendante, l’histoire officielle célèbre les corsaires turcs, et réduit les rois de Koukou à une « légende », lorsqu’ils ne sont pas occultés. Aucun établissement, aucun édifice public n’est dédié à leur patriotisme et à leur résistance[3].
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[1] Il avait établi son quartier général à Djebel Koukou, sur les hauteurs de Bab-El-Oued.
[2] Son mausolée, tombé en ruines lors du séisme de Boumerdès en mai 2003, est laissé à l’abandon.
[3] Lors de la campagne présidentielle de 2004, le candidat Bouteflika avait pourtant promis, lors d’un meeting à la salle Harcha d’Alger, de réparer cette injustice…