Nous republions intégralement une recension de l'ouvrage Libertés, Dignité, Algérianité, du Pr. Mohamed Mebtoul, parue dans El Watan.
L’ouvrage Libertés, Dignité, Algérianité est un aboutissement majeur dans la trajectoire du professeur Mohamed Mebtoul. Ceux qui auront le bonheur de lire ce livre décapant constateront que depuis le début du mouvement du 22 février et au fil des vendredis, tout est soumis à la moulinette de l’anthropologue.
Du port du drapeau aux significations des mots d’ordre, en passant par les inquiétudes, les polémiques ou les interrogations, rien n’est laissé de côté.
En homme de terrain qu’il a toujours été, l’anthropologue Mohamed Mebtoul fait le plein de matériaux, chaque vendredi et chaque mardi, depuis le 22 février 2019 jusqu’au 2 septembre, date de la signature du manuscrit précédé par la dernière phrase de l’épilogue. «Le désir de libertés, de dignité et d’algérianité au cœur des pratiques sociales de la majorité des manifestants représente l’espérance pour construire la citoyenneté.»
Comme on peut le constater, cette belle chute reprend le titre de l’ouvrage qui se répartit en quatre parties bien équilibrées :
1– Avant le hirak : Incivisme et violence du politique (falsification de l’histoire, de la violence du politique, le pouvoir des uns et la marginalité des autres…)
2– Pendant le hirak : Désir de dignité, de liberté et de citoyenneté : (Lire le mouvement social par le bas, les significations du système dégage, quête de liberté dans l’espace public, émergence de la citoyenneté…)
3– Créativité, humour et détermination des jeunes (La maturité politique des jeunes stigmatisés, la symbolique du drapeau, un patrimoine politique créé par les jeunes…)
4– Les multiples détournements du pouvoir. (De la démission de Bouteflika à la répression comme une modalité du pouvoir, impasse politique : la défiance du pouvoir, de l’assignation à la quête d’une émancipation politique…)
Ainsi, au-delà de son caractère éminemment sociopolitique, le mouvement citoyen algérien s’impose, dans sa multidimensionnalité, comme un objet de connaissance. Pour cela, l’auteur nous conduit dans de grandes directions : le mouvement populaire du 22 février 2019 offre au monde l’un des contrastes les plus saisissants de l’Histoire. Ouvertement radical et fermement pacifique, il suscite enthousiasme, admiration et interrogations à travers le monde entier.
A un grand nombre de ces interrogations, l’ouvrage apporte des éléments de réponses étayées, fouillées, élaborées et surtout clairement formulées. Nous assistons à un «sursaut de dignité d’un peuple méprisé, réprimé, assigné à la marge…», comme le précise l’auteur qui consigne, semaine après semaine, les vibrations et les pulsations d’une société entière. Une société, à présent, affranchie des terreurs des appareils d’Etat, tant idéologiques que répressives, qui n’ont plus de prise sur la conscience collective, selon l’auteur. Il ressort de ses observations soutenues que les citoyens algériens manifestent ensemble dans une société où tout est fait pour les cloisonner, les museler, les diviser sur la question des croyances, du genre, de l’âge et de la stratification sociale.
L’ouvrage montre que nous nous trouvons devant le résultat ou l’aboutissement d’une longue et lente maturation sociétale qui prend ses racines dans la profondeur de la société algérienne, comme le démontre magistralement le professeur Mebtoul dans la première partie intitulée «Avant le hirak».
Revenant sur des repères et des balises historiques, sociologiques et anthropologiques comme le moteur de ce processus. Il nous décrit minutieusement une société qui attend depuis plusieurs décennies une issue à ses multiples espérances. Et c’est pour cela que nous sommes, depuis le 22 février 2019, face à une responsabilité collective multiforme, comme il le souligne.
La division des tâches dans ce mouvement citoyen, l’organisation de débats, la poursuite de la réflexion et la mise en place de mesures urgentes émanant des collectifs et des groupes de réflexion sont plus que diversifiées et gagnent en maturité. (La deuxième partie, «Désir de dignité, de liberté et de citoyenneté»).
L’ouvrage explore, avec patience, constance et persévérance trois grandes orientations :
1- Que dans la «la Révolution du sourire» la prégnance du politique fait suite à un mûrissement des mouvements sociaux qui ont capitalisé les traditions de lutte passées, syndicales ou autres, tout en intégrant les éléments qui font partie des avancées sociales telles que l’élévation du niveau d’instruction, l’amélioration du niveau de vie, ou encore le recours aux réseaux de communication.
2- Que ce mouvements citoyen du 22 février est donc, fondamentalement, le signe d’une élévation de la conscience sociétale, formulant de nouvelles exigences, articulant ou conjuguant le sociétal au politique sur fond d’attente ou d’espoir de construction d’une citoyenneté dans un Etat débarrassé d’une tutelle asphyxiante, suffocante et paralysante.
3- En décortiquant les mots d’ordre et les chansons sorties des stades, l’auteur montre que la dimension festive, qui est également prégnante dans les marches hebdomadaires, s’inscrit en faux sur toute velléité catastrophiste. Elle agit, au contraire, comme antidote à la violence. En exprimant jovialement de véritables attentes.
Ces attentes multiformes que l’auteur entreprend de lire, de déchiffrer, de décrypter, vendredi après vendredi en vue de les analyser afin de les comprendre. Un vigoureux travail de terrain que mène le professeur Mohamed Mebtoul en sa qualité d’anthropologue attentif, doublé d’un observateur averti du mouvement citoyen, porteur d’un horizon prometteur.
Par Rabeh Sebaa
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